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    FAITS DIVERS

     

     

    Rouen, juin 1983

    La famille L. vient d’acheter dans la banlieue rouennaise une superbe maison bourgeoise du XIX ième siècle. Grand parc boisé, tonnelles, façade de briques rouges et de silex, longue allée fleurie jusqu’au perron en fer forgé.

    Quelques mois après avoir emménagé, le nouveau propriétaire, bricoleur insatiable, a déjà repeint toutes les chambres, aménagé son atelier, restauré un plafond. Il s’invente alors un nouveau projet indispensable : abattre la cloison qui sépare le garage et la cave, afin de gagner de la place pour une éventuelle deuxième voiture.

    Sous les coups furieux de sa barre à mine, il extirpe des gravas, un étrange paquet longiligne, ficelé, enveloppé dans un sac en toile de jute. Il s’agit d’un objet blanchâtre… On dirait…Oui, on dirait une statuette en ivoire…

    Une défense d’éléphant sculptée, une splendide geisha de trois à quatre kilos ! L’homme appelle sa femme. Elle soulève l’objet d’art, l’essuie avec précaution, le palpe, le soupèse.

    Elle n’en revient pas : « Ca vaut cher un truc comme ça !

    Regarde un peu s’il n’y en a pas une autre. »

     

    ROUEN, Juin 1983....

     

      

    Aussitôt le mari se remet au travail, avec les gestes lents et mesurés d’un archéologue. Il ausculte le mur.

    La paroi sonne « creux » au moins à deux endroits. Centimètre par centimètre le chercheur progresse, tapote, gratte, écoute, déblaie. Au bout d’une heure, il extirpe une, puis deux défenses semblables.

    Le voilà à présent en possession de trois œuvres d’art qu’il a hâte de faire expertiser. Puis il continue à démolir la paroi.

    Soudain, un cri en direction de son épouse : « J’ai quelque chose, viens voir ! Une boîte ! Deux boîtes en fer… ».

    Le premier coffret contient un fatras de japonaiseries, surtout des netsuke anciens, ces boutons ouvragés qui servaient à fermer les kimonos des geisha.

    Le deuxième ne renferme que cinq diamants, mais tellement gros qu’ils vous font peur.

     

    (Bouton sculpté de kimono, dit "netsuke", en japonais. Les netsuke du maître Hokusaï valent une fortune.)

     

      

    Que prévoit la loi en pareil cas ? Faut-il remettre le tout à la police ? En attendant de pouvoir prendre une décision, le couple enferme le trésor dans une malle de voyage, bien dissimulée au fond du grenier.

    Quelques jours plus tard, après mûre réflexion, l’explorateur décide de faire expertiser sa précieuse découverte asiatique par un antiquaire.

      

    En bon Normand qui se méfie, il remet aux calendres grecques l’examen des bijoux. Le résultat dépasse ses espérances : un zéro de plus par rapport à son estimation d’amateur. Il a donc mis la main sur un véritable magot.

    Dans la semaine qui suit, coïncidence ou pas avec cette visite chez un professionnel, un homme se présente à la villa, comme étant le petit fils de la propriétaire qui occupait les lieux jusqu’en 1942, année où elle fut emmenée à Auschwitz. Elle aurait emmuré avant son départ une collection d’objets d’art…Les détails troublants s’accumulent. La question épineuse devient inéluctable :

    - Auriez-vous trouvé dans la cave des statuettes en ivoire et des bijoux ?

    D’un commun accord, les deux époux affirment n’avoir rien vu. Et, pour couper court à toute velléité de contrôle, ils reconnaissent avoir abattu la cloison et confirment qu’il n’y avait rien, absolument rien à l’intérieur.

    - Et dans le mur d’en face non plus ?

    - Non, vous dis-je, rien du tout.

    Dubitatif, le visiteur tarde à quitter les lieux. Au bout de longues minutes de silence, il se résout enfin à partir, non sans avoir jeté un dernier regard circulaire dans la salle, en particulier sur l’étagère près de la cheminée, là où sont entreposés des bibelots achetés à Venise.

     

    L’entrevue, quelque peu surprenante, ranime chez l’aventurier du bricolage une folle envie de poursuivre les investigations. Il y aurait donc d’autres richesses à découvrir…

    Aussitôt, le chercheur de trésor reprend son marteau et teste les différences de sonorités sur toute la surface de la cloison. Effectivement, il y a quelque chose de bizarre derrière une plinthe. Il l’arrache.

      

    Et là…

    une longue cavité apparaît…

    Il plonge la main et en ressort des sacs et des sacs, emplis de choses lourdes.

    La surprise est de taille en les ouvrant : ce ne sont pas des statues qu’ils contiennent, mais des révolvers, des balles, des documents, des manchettes de journaux, une caisse contenant des liasses de billets datant d’avant-guerre, donc inutilisables.

    Des armes ! Ca alors ! A partir de ce moment, la famille bascule dans un autre type de trouvaille, celle qui touche aux activités effrayantes de la pègre.

      

    Les articles sélectionnés évoquent tous un hold-up…un braquage dans une bijouterie parisienne de la place…

      

    Mon Dieu ! L’homme et la femme n’ont pas le temps d’aller porter leur arsenal au commissariat : demain, ils partent en vacances pour un mois.

      

    Il faut préparer les valises. On verra plus tard, au retour. Et on range tout ça discrètement dans le grenier.

    Le séjour à La Baule se passe très bien. Beau temps, bronzette et bonne pêche. Personne n’a osé dire un mot sur le trésor.

     

      

      

    Au retour, le conducteur est un peu tendu au moment d’entrer dans la banlieue de Rouen. Les derniers kilomètres sont silencieux. Quel contraste avec la joie de vivre de la famille pendant les vacances ! Est-ce à cause de l’orage qui menace depuis Alençon ?

    - Dis, papa, pourquoi tu nous parles plus ? demande l’une des deux filles

    assises à l’arrière du véhicule.

    - Je n’ai rien contre vous, mes chéries, mais…j’ai comme une boule sur l’estomac. J’ai hâte de prendre une bonne douche à la maison…Mais…pourquoi tous ces pompiers ?

    Tu ne trouves pas que ça sent le brûlé ?

    La rue où ils habitent est interdite à la circulation. Des policiers leur ordonnent de faire demi-tour.

    - Attendez-moi là, je vais voir ce qui se passe…

    Spectacle de désolation. La maison a brûlé ! Il ne reste que les pans de murs. Le toit s’effondré. Les pompiers sont arrivés trop tard. Tout est calciné. Derrière lui, sa femme s’arrache les cheveux. Elle ne veut pas croire à la catastrophe.

    - Est-ce que la police a retrouvé les… ?

    - Non. Je sais qui a fait le coup…Mais on ne peut rien dire…

     

     

    (Court circuit? Vengeance? Qui peut le dire?)

    Trois mois après l’incendie, monsieur et madame L. reçoivent deux chèques de leur assurance. Le montant du premier correspondant au prix d’achat de la propriété. Le deuxième indemnise la perte des valeurs mobilières, y compris celles des statues japonaises, photographiées et expertisées en bonne et due forme.

      

      

      

      

     

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